Les édulcorants artificiels, présents dans de nombreux produits alimentaires et boissons, sont souvent présentés comme une alternative saine au sucre. Cependant, leur impact sur la santé humaine, notamment sur le métabolisme et le microbiote intestinal, soulève des interrogations. Dans cet article, nous examinons les preuves scientifiques disponibles pour comprendre les effets de ces substances. 

Qu’est-ce que les édulcorants artificiels ? 

Les édulcorants artificiels, tels que l’aspartame, la saccharine, le sucralose et l’acésulfame-K, sont des composés chimiques qui imitent la saveur sucrée tout en contenant peu ou pas de calories. Ces substances sont largement utilisées pour réduire la consommation de sucre et lutter contre l’obésité, le diabète et d’autres problèmes de santé liés à une consommation excessive de sucres. 

 On peut les classer en deux grandes catégories : édulcorants naturels et édulcorants artificiels. Voici une description, avec leur structure chimique et leurs regroupements selon leur structure moléculaire. 

1.Édulcorants naturels

Ces édulcorants sont souvent présents naturellement dans les fruits ou plantes. 

Fructose

    • Description : Sucre simple (monosaccharide) présent dans les fruits. 
    • Catégorie : Hexose (structure cyclique ou linéaire). 

     

     Stevia (Stévioside)

    • Description : Glycoside extrait des feuilles de Stevia rebaudiana. 
    • Catégorie : Glycoside stéroïdal. 

     

    Sorbitol

    • Description : Polyol (alcool de sucre) utilisé dans les aliments et produits sans sucre. 
    • Catégorie : Polyols. 

     

     

    Xylitol

    • Description : Polyol naturel extrait de l’écorce de bouleau. 
    • Catégorie : Polyols. 

     

    1. Édulcorants artificiels

    Ces édulcorants sont produits synthétiquement et ont une intensité sucrante élevée. 

    Aspartame

    • Description : Dipeptide (assemblage d’acides aminés) au pouvoir sucrant environ 200 fois celui du saccharose. 
    • Catégorie : Dérivé peptidique. 

     

     

     Saccharine

    • Description : Édulcorant synthétique environ 300 à 500 fois plus sucrant que le sucre. 
    • Catégorie : Composé aromatique soufré. 

     

     

     Sucralose

    • Description : Édulcorant synthétique environ 600 fois plus sucré que le saccharose. 
    • Catégorie : Dérivé chloré du saccharose. 

     

     

    Acesulfame-K

    • Description : Composé synthétique 200 fois plus sucrant que le sucre. 
    • Catégorie : Composé cyclique soufré. 

    Aspartame et Cancérogénicité : Rôle des Doses et Évaluations Scientifiques 

     

    L’aspartame, l’un des édulcorants artificiels les plus utilisés, a fait l’objet de controverses concernant sa sécurité, notamment en raison d’une éventuelle cancérogénicité. Cette inquiétude repose sur des études animales et épidémiologiques, mais il est essentiel d’intégrer la notion de dose pour évaluer ce risque dans un contexte réaliste de consommation humaine.

     1. Études sur la cancérogénicité de l’aspartame

    Certaines études chez les rongeurs ont suggéré un lien potentiel entre une consommation élevée d’aspartame et le développement de tumeurs. Par exemple, Soffritti et al. (2007) ont rapporté une augmentation des tumeurs lymphatiques et leucémiques chez des rats exposés à des doses très élevées d’aspartame (≥ 4000 mg/kg/jour) tout au long de leur vie. Ces doses, cependant, sont bien au-delà des niveaux habituellement consommés par l’humain. 

    Chez l’humain, les données épidémiologiques sont moins concluantes. Une vaste étude de cohorte menée par Schernhammer et al. (2012) a exploré l’association entre les édulcorants artificiels et le risque de cancer. Les résultats n’ont pas démontré de lien clair entre la consommation modérée d’aspartame et l’incidence de cancers, même chez les grands consommateurs.

    2.Notion de dose : l’apport quotidien admissible (ADI)

    La notion de dose est centrale pour comprendre la sécurité de l’aspartame. L’apport quotidien admissible (ADI) fixé par les agences sanitaires comme l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) et la FDA (Food and Drug Administration) est de 40 mg/kg/jour et 50 mg/kg/jour respectivement. Ces seuils sont définis pour garantir qu’une consommation quotidienne à ce niveau, tout au long de la vie, est sans danger. 

    Pour un adulte de 70 kg, cela correspond à 2800 mg à 3500 mg d’aspartame par jour, soit environ 14 à 17 canettes de soda light (chaque canette contenant environ 200 mg d’aspartame). Ces niveaux de consommation sont rarement atteints dans des conditions normales. 

    Les études qui suggèrent une cancérogénicité, comme celle de Soffritti et al., utilisent des doses bien supérieures à l’ADI, dépassant les 1000 mg/kg/jour, ce qui est irréaliste pour un consommateur moyen.

    3.Cancérogénicité à des doses très élevées

    À des doses massives dépassant l’ADI (≥ 1000 mg/kg/jour), des effets cancérogènes ont été observés chez des modèles animaux, mais les mécanismes biologiques ne sont pas clairement élucidés. Ces doses élevées pourraient causer un stress métabolique ou oxydatif, ou être liées à des métabolites comme le méthanol, produit lors de la dégradation de l’aspartame. Cependant, ces observations ne sont pas directement transposables à l’humain, car les niveaux nécessaires pour reproduire ces effets seraient extrêmement élevés. 

    Effets sur le métabolisme des édulcorant  

    Les effets des édulcorants sur le métabolisme varient en fonction de leur nature chimique, leur structure et leur mécanisme de métabolisation par l’organisme. Les édulcorants caloriques, tels que le fructose, les polyols (sorbitol et xylitol), et certains édulcorants naturels, apportent des calories, bien que leur impact métabolique soit souvent moindre que celui du saccharose. Le fructose, par exemple, est métabolisé principalement par le foie, où il peut être transformé en glucose, glycogène ou triglycérides. Une consommation excessive a été associée à une augmentation des taux de triglycérides, à la stéatose hépatique non alcoolique et à des perturbations du métabolisme lipidique (Tappy et Le, 2010). En revanche, les polyols comme le sorbitol et le xylitol sont partiellement absorbés dans l’intestin, entraînant un faible impact glycémique, mais ils peuvent provoquer des troubles gastro-intestinaux en raison de leur fermentation dans le côlon (Livesey, 2003). 

    Les édulcorants non caloriques, tels que l’aspartame, la saccharine, le sucralose et le stévioside, diffèrent significativement. L’aspartame, bien que métabolisé en acides aminés (phénylalanine et acide aspartique) et en méthanol, n’a qu’un impact négligeable sur la glycémie en raison des faibles doses nécessaires pour produire un effet sucrant. Cependant, des études ont suggéré qu’il pourrait altérer la sensibilité à l’insuline via des modifications du microbiote intestinal (Suez et al., 2014). La saccharine et l’acesulfame-K, qui ne sont pas métabolisés et sont excrétés inchangés, pourraient également influencer la réponse métabolique via le microbiote. Suez et al. (2014) ont montré que la saccharine pouvait induire des altérations du microbiote chez la souris, entraînant une intolérance au glucose. Le sucralose, quant à lui, a été associé à des modifications du microbiote intestinal et à une diminution potentielle de la sensibilité à l’insuline dans certaines études (Bian et al., 2017). Ces observations restent cependant controversées et nécessitent davantage de recherches pour établir un lien direct chez l’homme. 

    Par contraste, le stévioside, extrait de la plante Stevia rebaudiana, présente un profil métabolique favorable. Métabolisé en stéviol et excrété dans l’urine, il n’a aucun effet significatif sur la glycémie ou l’insuline et pourrait même améliorer la sensibilité à l’insuline et réduire la pression artérielle, selon certaines études (Gregersen et al., 2004). Par conséquent, le stévioside est souvent considéré comme l’un des édulcorants les plus sûrs et les plus bénéfiques pour la santé métabolique. 

     

    Impact sur le microbiote intestinal 

    L’impact des édulcorants sur le microbiote intestinal constitue un domaine de recherche émergent, mettant en évidence des effets potentiellement significatifs et différenciés selon le type d’édulcorant utilisé. Plusieurs études ont montré que certains édulcorants, en particulier les édulcorants artificiels, pourraient modifier la composition et l’activité du microbiote intestinal, entraînant des conséquences métaboliques et immunitaires.

    1.Édulcorants artificiels et microbiote intestinal

    Les édulcorants artificiels comme la saccharine, l’aspartame, l’acesulfame-K et le sucralose ont été associés à des altérations du microbiote intestinal. Une étude majeure réalisée par Suez et al. (2014) a montré que l’ingestion de saccharine chez la souris et chez certains individus humains entraînait une dysbiose intestinale, caractérisée par une réduction de la diversité microbienne et une augmentation des bactéries associées à des troubles métaboliques, tels que les Firmicutes. Cette dysbiose a été corrélée à une intolérance au glucose, suggérant un lien entre les édulcorants artificiels et une altération de la régulation glycémique via le microbiote. 

    Le sucralose a également été impliqué dans des modifications du microbiote intestinal. Une étude chez les rats  a montré que le sucralose réduisait la diversité bactérienne intestinale, notamment en diminuant les populations de bactéries bénéfiques comme les Lactobacillus. Ces effets pourraient perturber l’équilibre microbien et affecter des fonctions importantes comme la fermentation des fibres et la production de métabolites bénéfiques tels que les acides gras à chaîne courte (AGCC). 

    L’acesulfame-K, bien que rapidement excrété sans être métabolisé, pourrait également perturber le microbiote. Une étude réalisée a montré qu’il augmentait l’inflammation systémique et perturbait le métabolisme du glucose chez les souris, probablement via des modifications du microbiote intestinal.

    2.Édulcorants naturels et microbiote intestinal

    Les édulcorants naturels semblent avoir des effets plus variés et souvent moins nocifs sur le microbiote intestinal, bien que les données soient encore limitées. 

    a) Stevia (Stévioside) 

    Le stévioside, un édulcorant extrait de la plante Stevia rebaudiana, n’a pas été associé à des perturbations significatives du microbiote intestinal. Au contraire, certaines études suggèrent qu’il pourrait avoir un effet neutre ou légèrement bénéfique. Par exemple, Purkayastha et al. (2014) ont montré que la consommation de glycosides de stéviol n’entraînait pas de changement significatif dans la composition du microbiote intestinal chez des rats et des humains. 

    b) Polyols (Sorbitol et Xylitol) 

    Les polyols comme le sorbitol et le xylitol, bien qu’ils soient mal absorbés dans l’intestin grêle, atteignent le côlon où ils sont fermentés par le microbiote intestinal. Cette fermentation peut produire des acides gras à chaîne courte (AGCC), qui sont bénéfiques pour la santé intestinale et métabolique. Cependant, en excès, ils peuvent causer des troubles gastro-intestinaux tels que ballonnements et diarrhées. Par exemple, Roberfroid et al. (2002) ont montré que le xylitol augmentait la production d’AGCC, ce qui peut favoriser un environnement intestinal sain, bien que cet effet dépende de la tolérance individuelle.

    3.Différences entre édulcorants caloriques et non caloriques

    Les édulcorants caloriques, tels que les polyols, ont souvent des interactions directes avec le microbiote en raison de leur fermentation dans le côlon. Ces interactions peuvent être bénéfiques (par la production d’AGCC) ou négatives (troubles digestifs en cas de surconsommation). À l’inverse, les édulcorants non caloriques, qui ne sont pas métabolisés par l’organisme, interagissent davantage avec le microbiote de manière indirecte, souvent via des mécanismes encore mal compris. Ces interactions peuvent altérer la composition bactérienne et affecter des fonctions métaboliques clés, comme l’influence sur la sensibilité à l’insuline et la régulation de la glycémie. 

    4.Synthèse et perspectives

    Les effets des édulcorants sur le microbiote intestinal dépendent largement de leur structure chimique et de leur biodisponibilité. Les édulcorants artificiels comme la saccharine, le sucralose et l’acesulfame-K semblent avoir des effets délétères sur la diversité microbienne et la composition du microbiote, avec des répercussions potentielles sur le métabolisme du glucose et l’inflammation systémique. En revanche, les édulcorants naturels comme le stévioside et les polyols présentent des effets plus variés, allant d’interactions bénéfiques (comme la production d’AGCC avec les polyols) à des effets neutres (stévioside). Ces résultats soulignent l’importance de choisir des édulcorants en fonction de leur impact à la fois sur le métabolisme global et sur l’écosystème microbien intestinal.